Qu’est-ce que le leadership ? Survol historique d’un concept.

Si tout le monde a une compréhension intuitive de ce qu‘est le leadership, offrir une définition consensuelle s’avère un réel défi autant pour les chercheurs que pour les praticiens.

L’ouvrage de Peter Northhouse : Leadership. Theory and practice, dont la 8ème édition est parue en 2018 chez SAGE, est un ouvrage de référence incontournable dans le monde anglo-saxon qui reste encore largement méconnu dans la recherche franchophone sur le leadership. Découvrez ci-dessous le premier des extraits que nous allons régulièrement sélectionner et adapter.

Plus d’un siècle s’est écoulé depuis que le leadership est devenu un champ de recherche, et les définitions du terme ont naturellement évolué à travers les époques, au gré des modes, des idéologies et de la transformation des milieux professionnels auquels le concept est appliqué. En 1991 déjà, Joseph C. Rost dénombrait plus de 200 définitions pour le leadership !

Dans les lignes qui suivent, on trouvera un survol historique de la définitin du terme à travers un découpage plus ou moins arbitraire par décennies.

1900-1929 : la centralisation du pouvoir et les rapports de domination

Les premières définitions du leadership mettent l’accent sur le contrôle, la centralisation du pouvoir, avec une ligne directrice commune axée sur les rapport de domination. Le « leader » est celui dont la réussite se mesure à la capacité à induire chez ses subordonnés la diligence, le respect, la loyauté et la coopération. Il s’agit donc d’une conception très verticale et hiérarchique.

Les années 1930 : premier virage vers le concept d’influence

Dans les années 1930, la littérature sur le leadership commence à s’intéresser davantage aux caractéristiques du leader, avec en outre l’émergence d’une conception davantage tournée vers l’influence que sur la domination. Le leadership se conçoit également comme une interaction entre les caractéristiques du leader et les caractéristiques d’un groupe et, si l’accent reste mis sur la capacité du leader à influencer les autres, on commence à pointer le fait que les autres ont également en retour un potentiel d’influence sur le leader.

Les années 1940 : vers l’étude des comportements

L’émergence du comportementalisme en psychologie expérimentale déteint sur le paradigme du leadership dans les années 1940. On propose ainsi de définir le leadership comme le comportement d’un individu, le leader, lorsqu’il est engagé dans une activité de direction de groupes, composés eux aussi d’individus auteurs de certains comportements.

Les années 1940 voient également se dessiner une distinction appelée à faire fortune : celle qui distingue le leadership de persuasion du leadership de coercicion.

Les années 1950 : l’émergence de nouvelles approches

Mûre d’un demi-siècle, la recherche sur le leadership se segmente en différentes approches. Les trois paradigmes dominants des années 1950 sont :

  • La théorie du groupe se propose d’étudier ce que fait un leader dans et avec un groupe.
  • Le leadership comme relation entre individus qui partagent un but commun, où le leader est assigné à un comportement spécifique.
  • L’efficience, où le leader se définit avant tout par sa capacité à influencer la productivité et l’efficacité du groupe.

Les années 1960 : le consensus comportementaliste

Le triomphe du courant comportementalisme en psychologie dans les années 1960 amène par ricochet une sorte de consensus sur la littérature dédiée au leadership. Une définition se stabilise autour de l’idée que le leadership est un comportement qui influence d’autres individus vers la poursuite d’objectifs communs.

Les années 1970 : focus sur les groupes

On assiste dans les années 1970 à une attention particulière portée aux groupes et aux effets de groupe, générant le paradigme prolifique du comportement organisationnel. Le leadership y est vu alors comme la capacité à initier et maintenir, dans tel groupe ou telle organisation, l’accomplissement d’objectifs collectifs et organisationnels.

James MacGregor Burns propose en 1978 une définition du leadership qui restera longtemps privilégiée : « le processus réciproque de mobilisation par une personne avec certaines motivations et valeurs et qui dispose de diverses ressources (économiques, politiques, etc.), dans un contexte de compétition et de conflit, dans le but de réaliser des objectifs tenus indépendamment ou conjointement par le leader et son groupe ».

Les années 1980 : l’explosion des paradigmes

Les années 1980 voient fleurir une multitude d’approches, où l’interdisciplinarité fait bonne figure, au moment où le thème du leadership gagne de plus en plus le grand public. On assiste donc à une prolifération de définitions du leadership, que l’on peut regrouper en quelques thèmes dominants :

  • Faire faire aux autres ce qu’on veut qu’ils fassent. De nombreux auteurs continuent à insister sur le fait que le leadership se mesure à l’aune de la capacité à amener les autres à accomplir certaines actions ou certains comportements.
  • L’influence. C’est le mot le plus utilisé dans cette décennie dans les diverses définitions du leadership ; l’influence a été analysée sous tous les angles. Un consensus éthique émerge toutefois sur l’idée que cette influence ne doit pas être coercitive.
  • Les traits du leader. Une littérature abondante, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, se propose de mettre en avant les caractérisques (compétences, traits de personnalité) affichées par les (bons) leaders. Le leadership y est généralement présenté comme une forme d’excellence.
  • Le leadership transformationnel. Initialement proposé par Burns en 1978, ce paradigme particulièrement influent soutient que le leadership émerge lorsqu’un groupe s’engage dans des projets partagés de telle manière qu’autant le leader que le reste du groupe s’influencent mutuellement pour aboutir tous à  des degrés de motivation et de moralité plus élevées. En d’autres termes, le leadership rend tout le monde « meilleur ».

Des années 1990 au XXe siècle

Nous arrivons ainsi à une conception du leadership qui, de manière générale, prévaut aujourd’hui, centrée sur le processus par lequel un individu influence un groupe. Ce noyau définitionnel commun n’empêche pas une multitude d’approches nouvelles, dont certaines s’opposent de manière assez conséquente. Parmi ces nouveaux trends, on peut citer :

  • Le leadership authentique, qui valorise l’authenticité et la sincérité du leader comme celles de ses collaborateurs.
  • Le leadership spirituel, qui voit le leadership comme la capacité à induire dans le groupe des valeurs personnelles et d’appartenance riches et profondes.
  • Le leadership serviteur, qui voit le leader comme un serviteur apte à cerner les préoccupations de son groupe, afin d’aider celui-ci à devenir plus autonome et compétent.
  • Le leadership adaptatif, pour lequel le leader est celui qui encourage les autres à se confronter aux problèmes et défis, dans une perspective d’amélioration et d’adaptation.
  • Le leadership des suiveurs met l’accent sur le rôle que jouent « les autres » dans l’implémentation et le processus relationnel particulier qu’est le leadership.
  • Le leadership discursif soutient quant à lui que le leadership est n’est pas tant affaire de traits personnels, compétences ou comportements, mais plutôt de pratiques communicationnelles négociées entre le leader et le groupe.

Conclusion : faut-il avoir une définition unique du leadership ?

Après plus d’un siècle de désaccords, on est bien obligé d’admettre, aujourd’hui plus que jamais, qu’aucune définition unique du leadership ne fera consensus. Mais faut-il nécessairement avoir une définition unique ? Est-ce même souhaitable ?

Le philosophe Ludwig Wittgenstein nous invite à considérer le langage comme un jeu dont les règles sont établies et modifiées par l’usage. Le sens d’un mot ne serait ainsi jamais figé car les usages polissent et modifient, au fil du temps, les occurences dans lesquels nous considérons qu’un mot est utilisé correctement.

Si Wittgenstein a raison, alors on ne s’étonnera pas qu’un terme sémantiquement aussi dense que « leadership » ne puisse recevoir de définition définitive, puisque d’innombrables facteurs globaux et générationnels font et feront que le leadership ne signifiera pas la même chose pour tout le monde. La bonne nouvelle, c’est que c’est la preuve que c’est un concept riche et complexe, à propos duquel il y a encore beaucoup à dire.

DANIEL LOUREIRO