Soutenir le bien-être des enseignant·e·s : les directions ont-elles un rôle à jouer ?

Olivier Perrenoud et Christine Busin

2024

Dans le monde moderne, le travail occupe une place centrale pour bon nombre de personnes. Il est un facteur d’épanouissement personnel et professionnel, mais peut également être une source potentielle de stress et d’épuisement. Dans le même temps, le bien-être est devenu un enjeu majeur, dont les générations actuelles s’emparent en cherchant à équilibrer vie professionnelle et vie privée. Néanmoins, l’impact des conditions de travail a toujours une influence importante sur la santé mentale et psychique des individus. La santé au travail est ainsi devenue non seulement une préoccupation première pour les employé·e·s et les employeurs, mais aussi un facteur reconnu de performance et de fidélisation des professionnel·le·s. Dans les établissements scolaires, la santé du corps enseignant et des directions d’école est reconnue comme ayant un impact sur le bien-être et la réussite scolaire des élèves (Perrenoud, 2024 ; Viac et Fraser, 2020 ; Achermann Fawcett, Keller et Gabola, 2018 ; Studer et Quarroz, 2017).

La santé comme investissement

En investissant dans la santé et le bien-être des employé·e·s, les organisations ne font pas seulement un choix éthique. Elles prennent également une décision stratégique qui peut conduire à une amélioration de la qualité des prestations et à une réduction des coûts sur le système dans son ensemble, en diminuant notamment les absences et les maladies. Créer un environnement de travail sain est donc un investissement dans l’avenir de toute organisation, qu’elle soit à visée éducative ou non.

Au sein des établissements scolaires, mettre des canapés ou un baby-foot dans la salle des professeur·e·s permet-il de favoriser le bien-être au travail ? Les directions scolaires ne devraient-elles pas plutôt s’interroger sur les moyens de soutenir le développement des professionnel·le·s de l’établissement ? Le leadership de service (Grennleaf, 1996) peut-il être mis au service de la gestion des ressources humaines pour que l’importance du facteur humain soit remise au centre de la gestion des collaboratrices et des collaborateurs ? Des questionnements majeurs pénètrent actuellement le monde de l’éducation et celui de la formation des directions scolaires.

La place des directions d’école

Dans les établissements, on identifie plusieurs facteurs de risques psychosociaux ; le stress, les violences internes, comme le harcèlement ou la non-reconnaissance intentionnelle, les violences externes, comme les relations avec les parents et l’épuisement psychologique en partie lié aux trois premières variables. Malgré des connaissances qui commencent à s’étoffer et des démarches comme « L’école en action » développée par RADIX, Fondation suisse pour la santé, et soutenues par Promotion Santé Suisse, les directions d’école se trouvent souvent démunies face à la souffrance des individus et prisonnières des organisations ou des conditions de travail héritées du passé.

Les conditions d’un travail en santé

Si chacun·e réagit différemment à un même stimulus (agression verbale de parents, contrôle déplacé d’un cadre intermédiaire, charge de travail excessive, gestion d’un élève avec de forts troubles comportementaux), des démarches de prévention sont apparues relativement rapidement dans le système scolaire. Toutefois, ces démarches ciblent la souffrance de l’individu, visant à l’aider à la surmonter, en faisant l’économie de la mise en question de l’environnement de travail. On cherche souvent à résoudre un malaise enseignant (Barrère, 2017) par des actions d’aide pour compenser la souffrance psychologique, comme du coaching pour la gestion du stress et de son temps de travail ou la mise à disposition de service de massage ou encore d’une salle de sport. Ces approches soignent toutes les symptômes davantage que les causes. Ces démarches dites de Qualité de Vie au Travail (QVT) favorisent le renforcement d’un climat d’établissement serein mais elles ne sont pas conçues comme un outil de régulation ou de remise en question profonde du fonctionnement d’un établissement scolaire. Se centrer sur les facteurs de risques questionne le travail et son organisation. Dans ce sens, les directions ont la possibilité concrète d’organiser les activités des enseignant·e·s en structurant leur environnement de travail, en proposant des ressources et en exerçant un management au service de la communauté enseignante (Perrenoud, 2018), permettant d’améliorer la santé du personnel et ainsi indirectement la santé des élèves.

Soigner le travail

A l’avenir, il pourrait être bénéfique que les directions s’emparent plus fermement des problèmes liés aux conditions de travail pour les faire évoluer au lieu d’attendre que des changements arrivent. Elles pourraient soutenir les enseignant·e·s, favoriser une organisation du travail qui soit au service des apprentissages des élèves ET du développement des enseignant·e·s. En quelque sorte, cela résonne avec la philosophie du leadership de service (Grennleaf, 1996) et l’idée d’un management scolaire au service des enseignant·e·s (Perrenoud, 2018). Pour un cadre scolaire, une posture de leadership de service amène à renoncer à une partie de son autorité et place son équipe au centre de ses considérations. Ce type de leadership altruiste privilégie le développement à long terme des collaborateurs et collaboratrices. Il s’agit ainsi de construire et renforcer une culture axée sur les personnes en favorisant des relations de confiance approfondies avec et entre les individus. C’est au prix de cet investissement que nous soignerons ensemble le travail dans le système scolaire.

Agir en cohérence

Sur un autre plan et en résonnance avec l’idée d’affronter au quotidien les petits dysfonctionnements qui peuvent amener à s’habituer aux problèmes, en évitant de les résoudre, il est toujours surprenant de constater qu’un petit nombre d’enseignant·e·s identifiés comme en marge (mauvaise relation avec les collègues, avec les parents ou même les élèves, lacunes professionnelles, etc.), est laissé en place. Le système essaie alors de fonctionner avec des aménagements qui permettent de limiter l’impact de ces personnes sur les prestations et l’image de l’établissement. Que faut-il alors penser du fait de ne pas s’occuper de ces professionnel·le·s qui dysfonctionnent ? Quel message est envoyé aux autres collaborateurs ou collaboratrices qui sont investis professionnellement pour accomplir leurs missions éducatives ? Doit-on comprendre en creux qu’il n’est nul besoin d’être compétent pour travailler ou même conserver son poste ? Si par ailleurs, une volonté de développement professionnel, de formation tout au long de la vie et de qualité des prestations dispensées par un établissement est affichée, quelle est alors la cohérence avec la gestion de tels cas sur l’établissement ? Soutenir les enseignant·e·s est probablement aussi sanctionner les comportements de ceux ou celles qui sont déviants.

Pour une approche plus large

Le souci de cohérence se conçoit dans une approche contextualisée et systémique des actions de la direction et dans le style de management appliqué. Comme toute organisation, l’école peut apprendre à mettre en place de nouveaux modèles de management. Il semble important que les directions scolaires intègrent la santé comme un facteur de développement des ressources humaines et l’envisagent comme un facteur de soutien à la qualité des prestations dispensées (Perrenoud, 2024).

Sources :

Achermann Fawcett, E., R. Keller et P. Gabola (2018). Impact de la santé des directions d’établissement et du corps enseignant sur la santé et la réussite scolaire des élèves. Bases scientifiques pour l’argumentaire « La santé renforce l‘éducation », Alliance PSE dans les écoles, Zürich et Lausanne, Pädagogische Hochschule Zürich et Haute école pédagogique Vaud.

Barrère, A. (2017). Au cœur des malaises enseignants. Malakoff, France : Armand Colin.

Doudin, P.-A. et D. Curchod-Ruedi (2009). « Le soutien social comme facteur de protection du burnout des enseignants », Revue Pédagogique HEP, 10, 55–58.

Greenleaf, R.K. (1996). On becoming a servant-leader. San Francisco: Josey-Bass Publishers.

Perrenoud, O. (2024). La santé des directions d’école et du personnel enseignant comme facteur de réussite des élèves. Dans N. Rousseau, D. Voyer, G. Espinosa, A. Ionescu et E. Martin-Jean (dir.), Le bien-être et la réussite de l’élève à l’école : perspective internationale (p.113-136). Presses de l’Université du Québec.

Perrenoud, O. (2018). Pour un management au service des enseignants. Résonances, 8, 8-10.

Studer, R. et S. Quarroz (2017). Enquête sur la santé des enseignants romands : rapport de l‘institut universitaire de Santé au Travail, Epalinges, Institut Universitaire romand de Santé au Travail.

Viac, C. et P. Fraser (2020). Teachers’ well-being: A framework for data collection and analysis, OECD Education Working Papers, 213, Paris, OECD Publishing.