Mets-toi ça dans la tête !

Les stratégies d’apprentissage à la lumière des sciences cognitives.

Les stratégies d’apprentissage et les méthodes pédagogiques reposent souvent sur des idées préconçues, des intuitions ou des effets de mode. Or les sciences cognivites montrent que beaucoup de ces préjugés en matière d’apprentissage ne tiennent pas la route ou sont même contre-productifs.

Peter C. Brown, romancier et essayiste, Henry L. Roediger et Mark A. McDaniel, professeurs de psychologie, offrent dans Mets-toi ça dans la tête ! Les stratégies d’apprentissage à la lumière des sciences cognitives (Editions Markus Haller, 2016) un aperçu des principales conclusions des recherches actuelles en sciences cognitives, et les conséquences pratiques à en retenir pour adopter des méthodes d’apprentissage qui fonctionnent.

Apprendre : un malentendu

Nous sommes nombreux à aborder l’apprentissage et nos propres apprentissages de la mauvaise manière, et, convaincus de la pertinence de nos méthodes, nous transmettons des mauvais conseils aux générations suivantes : ainsi se perpétuent et se renforcent des stratégies d’apprentissage qui ne marchent pas. Ce processus est d’autant plus difficile à inverser que ces mêmes stratégies donnent l’illusion d’être efficaces, en alimentant un sentiment de familiarité avec les connaissances ou les compétences ciblées, alors qu’un apprentissage réussi vise une mémorisation pérenne ainsi que la capacité à remobiliser les acquis à bon escient dans des contextes inédits.

Pourtant, les sciences cognitives ont à maintes reprises démontré l’inefficacité de ces techniques. La bonne nouvelle, c’est que ces mêmes sciences cognitives nous offrent également des stratégies simples et pratiques pour apprendre mieux, retenir plus longtemps, et développer en bonne connivence des capacités cognitives variées. Voici quelques-uns de ces enseignements.

Pour apprendre, retrouvez !

Commençons par la mémorisation, dont les auteurs réhabilitent le rôle fondamental, non suffisant mais nécessaire à l’apprentissage. Les sciences cognitives nous enseignent que le fait de se remémorer une nouvelle connaissance ou une nouvelle compétence est un des outils les plus puissants pour l’apprentissage à long terme. En quoi cette affirmation nous écarte des pratiques ordinaires, vous demanderez-vous peut-être ? En ce qu’elle met l’accent sur l’activité volontaire et autonome de remémorisation, ce qui est à mille lieues des pratiques ordinaires de la relecture répétée ad infinitam d’un polycopié ou de notes de cours, ou de la compréhension silencieuse d’un contenu sur la base d’un support : ce que nous appelons couramment « bachotage » ou « bûchage ». A l’inverse, la remémoration active demande à l’individu de tenter de reconstituer de lui-même, sans support, le contenu ou la compétence visés.

Bien sûr, cette manière de faire suscite un sentiment de difficulté et d’effort, mais les sciences cognitives sont catégoriques sur ce point : une remémoration qui demande des efforts produit à long terme un apprentissage plus solide et mieux ancré. N’en déplaise aux apôtres du « tout ludique » et à notre intuition qui nous suggère qu’un apprentissage est meilleur lorsqu’il est plus facile : notre cerveau apprend mieux quand il doit travailler dur.

C’est pourquoi la pratique de remémoration répétée mais répartie en plusieurs sessions dans le temps produit d’excellents résultats : entre deux séances, nous avons pu évacuer de notre mémoire à court terme une partie du contenu à apprendre, ce qui va nous demander un effort pour remobiliser ce contenu. C’est également pourquoi le « bûchage » intensif avant examens permet de s’en sortir sur le moment, mais renvoie une fois l’examen passé tous les contenus dans les abysses de l’oubli. Cette fois-ci, les sciences cognitives rejoignent la conviction populaire.

Pour les enseignants qui souhaitent stimuler la remémoration chez leurs élèves, il y a, en plus de l’inspiration qu’on aura pu glâner dans les lignes qui précèdent, un moyen très simple (bien que coûteux en temps de correction…) : multiplier les évaluations, notamment les « interros », le long de l’année. De nombreuses études corroborent le fait que les étudiants réussissent mieux un examen final lorsqu’ils ont été évalués à plusieurs reprises dans l’année scolaire, que ceux qui sont évalués uniquement lors de cet examen final.

Diversifier les apprentissages

Une autre conviction largement répandue est que nous apprenons mieux lorsque nous nous concentrons sur une seule chose à la fois, une compétence ou une discipline particulière, et qu’un apprentissage intensif séquentiel, par silos, est la stratégie gagnante. Je concentre d’abord toute mon énergie sur l’acquisition de ce savoir-faire puis, quand j’en ai fini, je passe au savoir-faire suivant.

En fait, nous sommes ici victimes d’une illusion cognitive, alimentée par le progrès visible que nous constatons au fil de cette activité monolithique. Lorsqu’au contraire nous distribuons notre apprentissage par l’espacement dans le temps, l’alternance et la variation, cette sensation de progrès visible s’estompe car nous devons à chaque fois nous remémorer les acquis de la session précédente, et nous croyons alors qu’alterner les cibles d’apprentissage n’est pas la bonne méthode. Or les recherches empiriques démasquent cette illusion : c’est justement parce que nous devons à chaque fois faire l’effort de nous remémorer, que nous retenons mieux à long terme.

Quel temps faut-il laisser s’écouler entre deux séances ? Il y a une manière simple de répondre à cette question : suffisamment pour que le travail ne devienne pas une répétition dénuée de sens, ce qui veut dire au minimum assez de temps pour qu’une part d’oubli ait pu se faire, sans arriver non plus au point où l’on a tout oublié et où tout est à refaire. Par ailleurs, étant donné l’importance du sommeil dans la consolidation de la mémoire, laisser au moins une journée entre deux séances est souvent nécessaire.

Tout cela implique que si nous avons par exemple deux cibles d’apprentissage, il vaut mieux alterner les séances en passant d’une cible à l’autre, plutôt que de passer toute une journée à l’une puis toute une journée à l’autre. Il est intéressant de constater que les sciences cognitives donnent ici raison à la répartition horaire des disciplines dans le modèle standard de l’école, où les élèves alternent plusieurs disciplines le même jour. Il est cependant possible de tirer la leçon plus loin : à l’intérieur de chaque discipline, l’enseignant pourra rendre l’apprentissage plus efficace en alternant les contenus ou les types d’activités pédagogiques. Plutôt que de consacrer toute une semaine (voire un mois !) à l’algèbre puis une semaine à la trigonométrie, il vaut mieux faire une leçon de chacun de ces champs en alternance.

Affronter les difficultés

L’apprentissage se fait en de multiples étapes, que l’on peut arbitrairement découper en trois phases principales :

  1. Le codage initial, qui se déroule dans la mémoire à court terme
  2. La consolidation, qui (ré)organise les données initiales, leur donne du sens et établit des liens avec les connaissances préexistantes
  3. La récupération, qui actualise les apprentissages et les mobilise pour la résolution de problèmes inédits

L’implémentation des connaissances dans la mémoire à long terme et la capacité à les mobiliser rapidement et avec plasticité (lire : avec intelligence) se fait surtout par la pratique active et répétée de la troisième étape, celle de la récupération. On la travaille en sollicitant régulièrement cette récupération, mais aussi en créant dans nos schémas mentaux des liens et des amorces entre les différents éléments, organisés alors en réseau, ce qui fait que la mobilisation d’un élément entraîne naturellement avec lui dans la mémoire à court terme la récupération des éléments qui lui sont liés.

Lorsque nous mobilisons des nouvelles connaissances fraîchement intégrées avec des « exercices à chaud », cela ne nous demande que relativement peu d’effort mental, mais a un effet moindre sur le long terme : encore une fois, il faut se méfier de l’illusion de facilité et de familiarité, car ici le cerveau n’entre pas dans le mécanisme de récupération à proprement dite.

En phase initiale d’acquisition d’une compétence, l’exercice de récupération véritable demande beaucoup d’efforts. Pour faire émerger ces activités de récupération, on peut par exemple passer par des exercices suffisamment difficiles, qui exigent un retour minutieux et réfléchi sur la théorie ; ou des exercices qui modifient le contexte de l’acquisition initiale et permettent au passage d’accroître la souplesse avec laquelle ou pourra ultérieurement mobilier cet apprentissage (lire : avec intelligence) ; ou bien encore des exercices à réaliser après un certain temps : la part d’oubli causera naturellement la récupération.

Pour l’enseignant, cela signifie qu’il faudrait veiller, dans l’organisation pédagogique et didactique du cours, à ne pas proposer que des exercices « à chaud ». Cela va à l’encontre d’une certaine intuition qui dit que tout exercice devrait être précédé ou de la leçon associée s’il s’agit d’une compétence nouvelle, ou d’un rappel théorique dans le contexte des « révisions ». Cueillir les élèves « à froid » avec des exercices dont la dernière transmission théorique date du mois dernier peut paraître inopportun voire sadique.  Pourtant, et pour autant qu’on accorde une place active et autonome à l’élève dans son propre processus de récupération, c’est de cette manière qu’on consolidera le mieux ses acquis d’apprentissage. Même si, mais surtout parce que, ce sera réellement difficile pour eux de refaire avec effort les mêmes exercices qu’ils avaient pu faire en pilotage automatique un mois auparavant.

Mets-toi ça dans la tête !

Dans cet ouvrage riche en présentations, expériences, exemples et recommandations, dont on ne donne ici que quelques illustrations, et dans un style clair et accessible, les auteurs nous invitent à nous questionner sur nos convictions, intuitions et idées reçues concernant les méthodes d’apprentissages. Avec eux, nous ne pouvons que déplorer que tout un pan du monde de l’éducation ignore superbement les sciences cognitives (et vice-versa…). Dans ce sens, ce livre est une contribution plus que bienvenue à l’établissement d’un pont salutaire entre ces deux sphères, et intéressera certainement tous les lecteurs impliqués de près ou de loin dans le monde de l’éducation.

DANIEL LOUREIRO