Une autonomie à géométrie variable dans les établissements scolaires
L’autonomie des établissements scolaires est régulièrement au centre de débats. D’un côté, l’autonomie croissante des établissements s’inscrit dans un mouvement de décentralisation et de renforcement des prérogatives des directions d’école, de l’autre les logiques de rendre compte et l’agenda politique réduisent les marges de manœuvres des professionnels sur le terrain. La gouvernance du système invite à une autonomie repensée et localement définie par le sens que lui donnent les acteurs.
L’autonomie des établissements est aujourd’hui au centre de nombreuses polémiques. Nous l’avons qualifié avec les termes à géométrie variable. Géométrie variable est d’abord un terme utilisé en aéronautique pour qualifier des ailes d’avion qui peuvent adapter leur angle pour évoluer avec efficacité à différentes vitesses. Autrement dit, l’autonomie des établissements ou celle qui est donnée/accordée/concédée aux établissements peut-elle se déformer selon la nécessité des circonstances ?
Une décentralisation trop timide
Les travaux de recherche de l’équipe LEAD montrent qu’un certain nombre de traits de la nouvelle gestion publique ont pénétré le système éducatif suisse avec notamment un mouvement de décentralisation, d’autonomie des établissements et l’idée que les institutions deviennent redevables en matières d’efficacité et de réussite.
Dans ce mouvement de décentralisation, l’état et/ou les directions générales se défont petit à petit d’un certain nombre de responsabilités qu’ils avaient. La décentralisation postule clairement plus d’autonomie dans les établissements pour aller, comme le préconisent certains chercheurs (Dutercq 2005[1] ; Felouzis et Hahnart, 2011[2] ; Maroy, 2013[3] ), vers des nécessaires régulations locales et l’amélioration des prestations fournies. Mais ce mouvement s’accompagne, souvent, d’un renforcement de l’état en termes de directives. On vous donne de l’autonomie mais il serait bien (lorsque cela n’est pas une obligation) que vous fassiez ceci ou cela. Autrement dit « soyez autonome mais faîtes comme nous disons ! ».
Une autonomie à géométrie variable
Alors comment concevoir l’autonomie actuelle dans les établissements ? Nous pouvons en voir un côté pile et un côté face.
Le côté pile, c’est la pile liée à la bureaucratie. Malgré la décentralisation, certaines décisions sont tout de même centralisées, il existe des normes de gestion des parcours des élèves, des normes pour l’évaluation, pour la gestion financière, des prescriptions, des directives qui peuvent être plus ou moins nombreuses et plus ou moins contrôlées.
Le côté face, c’est le pilotage de l’école avec un projet d’établissement, la dynamisation des équipes enseignantes, la gestion des élèves, les relations avec les parents. C’est en quelques sorte le côté du dialogue, de l’adaptation permanente parce qu’il faut modifier des choses à chaque instant, gérer l’imprévu tout en garantissant la qualité des prestations d’enseignement, la qualité du climat de l’école et la qualité des relations humaines au sein de l’organisation.
Le rôle des directions dans l’autonomie prescrite
Le monde des règles et le monde de l’ajustement permanent sont en tension dans notre système éducatif. Et pour faire l’articulation entre ces deux mondes, il y a les directrices et directeurs, à l’interface des logiques.
Ils peuvent alors choisir refuge dans le monde des règles, devenir des agents de l’organisation et de la circulation au sein de leur établissement, en régulant simplement par la réaction aux problèmes qui apparaissent. Ils peuvent aussi se saisir des marges de manœuvres existantes, apprendre à jouer des situations qui se présentent et devenir des créateurs de solutions innovantes aux problèmes posés.
Nous pouvons ainsi nous interroger sur le mode d’autonomie des chefs d’établissement. Comment sont-ils capables d’associer des ressources disparates, d’imaginer des utilisations détournées ? L’autonomie peut-elle être volée ou gagnée de manière clandestine ou de manière explicite et reconnue, dans l’idée que l’autonomie est une indépendance conquise face à un pouvoir déterminé ? Et finalement, est-ce que les cadres sont assez formés pour se saisir de l’autonomie et la redistribuer en devenant des développeurs professionnels et non des agents de circulation qui ne ferait qu’organiser et prescrire ?
Enfin, si autonomie rime avec rendre compte, ne devrait-on pas évaluer les dirigeants sur la réussite de leurs initiatives et non sur leur capacité à mettre en œuvre des instructions venues d’en-dessus ? Bref, le système souhaite-t-il de bon manager exécutant qui font tourner l’école ou des leader-managers qui font bouger l’école, pour reprendre la métaphore d’Anne Barrère[4] ?
Ensemble pour être autonome collectivement ?
La société change. L’école peine parfois à affronter le défi de former les élèves. En termes d’autonomie, les établissements scolaires ne pourraient-ils pas investir le fait qu’ils deviennent des entreprises apprenantes et surtout des organisations qui font apprendre les enseignants et pas seulement les élèves ? L’établissement, pour retenir les talents et les enseignants hautement compétents, ne peut-il pas petit à petit orienter une partie de leurs ressources pour faire apprendre vers les professionnels de cette organisation et pas seulement vers les élèves ?
L’établissement peut-il devenir lieu de formation pour ses professionnels parce qu’accessoirement nous améliorerons l’apprentissage des élèves ainsi ? L’autonomie des établissements peut-elle être un outil pour faciliter les apprentissages des élèves sans être le théâtre de l’affrontement de logiques d’acteurs et d’institutions ?
Références
[1] Dutercq, Y. (dir.) (2005). Les régulations des politiques de l’éducation. Rennes, France : Presses universitaires de Rennes.
[2] Felouzis, G. et Hanhart, S. (2011). Gouverner l’éducation par les nombres ? Usages, débats et controverses. Bruxelles, Belgique : De Boeck.
[3] Maroy, C. (2013). L’école à l’épreuve de la performance. Les politiques de régulation par les résultats : trajectoires nationales, usages locaux. Bruxelles : De Boeck.
[4] Barrère, A. (2006). Sociologie des chefs d’établissement : les managers de la République. Paris, France : Presses Universitaires de France.