Développer les compétences des enseignants : un enjeu pour les directions

Les responsables et les managers sont à priori là pour faire grandir les collaborateurs et faire progresser les équipes. Comment l’encadrement peut-il jouer son rôle, permettre aux personnes d’affirmer leur talent dans le métier d’enseignant ? Comment un responsable peut-il exercer de l’influence et se mouiller pour que l’établissement s’inscrive dans une dynamique globale d’évolution ?

Du contrôle au développement des professionnels

En avril 2014, nous avions mis sur pied le premier 180 minutes de LEAD au format d’une conférence-débat autour de la question du contrôle du travail des enseignants et le rôle des directions dans cette dimension. Les propos étaient alors de ne pas faire de l’évaluation des enseignants un dispositif de répression ou de menace, mais de la voir comme une ressource à leur service et au service de l’établissement. En quelque sorte, notre postulat était de nous interroger sur les formes de contrôle qui peuvent contribuer au développement des compétences professionnelles des enseignants et à la dynamisation de l’évolution du personnel d’un établissement de formation. C’est dans cette direction que nous avons poursuivi notre réflexion pour la deuxième édition des 180 minutes de LEAD.

La gestion du personnel pour les chefs d’établissement

Initialement la gestion du personnel répondait à une préoccupation toute simple : faire en sorte que l’organisation fonctionne le mieux possible, sans trouble et sans conflits. Nous pourrions penser que cette préoccupation a toujours existé au sein de l’école et de l’organisation des différents systèmes cantonaux de l’enseignement. Pourtant, l’apparition de chefs d’établissement, porteurs d’une responsabilité sur la gestion du personnel, n’est pas si ancienne que cela. Dans le canton de Vaud, avant la loi scolaire de 1984, les groupements d’écoles dépendaient soit d’une direction administrative dans certaine région, soit conjointement d’une commission scolaire et d’un conseiller pédagogique, anciennement inspecteur. En 2000, dans le canton de Vaud toujours, sous l’influence des mouvements de décentralisation inspiré du New Public Management, de la mise en œuvre effective de certains aspects de la loi scolaire et d’une réorganisation du Service de l’enseignement, la gestion de la gouvernance scolaire a été repensée. Une nouvelle distribution des responsabilités respectives de la direction générale et des directions d’école a été imaginée. L’encadrement des enseignants a ainsi été délégué à l’interne des établissements scolaires, sous la responsabilité d’une directrice ou d’un directeur qui peut bénéficier de l’aide de doyens ou de chefs de file. La situation est encore telle dans plusieurs cantons romands.

Piloter un établissement et encadrer des enseignants

Dans ce cadre, un double enjeu apparaît avec le pilotage de l’établissement et l’encadrement des enseignants. Pour les directions, il s’agit de faire l’interface entre les intérêts individuels et les intérêts de l’organisation, tout en vérifiant que la vision et le sens des missions de l’école soit suffisamment présents pour l’ensemble des acteurs. Les directions d’établissement ont ainsi aujourd’hui un rôle de plus en plus marqué dans la gestion du personnel et le développement des collaborateurs. Les responsables et managers scolaires sont à priori là pour faire grandir les collaborateurs, faire progresser les équipes, stimuler les collectifs d’enseignants pour leur permettre d’être plus que des intelligences juxtaposées. Il s’agit en quelque sorte de soutenir les individus dans un projet global, de construire ce qu’on appelle une intelligence collective au service de l’organisation. Dans le même temps, l’enjeu est aussi d’assurer une qualité globale des prestations dispensées par un établissement. Il est donc parfois nécessaire de contrôler le travail, qui suppose une collaboration active des intéressés et de prendre des mesures nécessaires pour assurer l’apprentissage des élèves.

Ouvrir les yeux pour valoriser les pratiques professionnelles

Manager par la réduction de la conflictualité qui se traduirait par ne prendre des mesures qu’en cas de problème et parfois fermer les yeux sur des dysfonctionnements pourtant connus, reviendrait alors à accepter l’incompétence de certains enseignants et à autoriser que des élèves ne progressent plus en raison des prestations fournies par l’institution. Dans de tels cas, l’enjeu de l’évaluation des enseignants disparaît pour laisser la place à des mesures disciplinaires et des sanctions. Il me semble que l’enjeu premier est toutefois de permettre d’établir un dialogue avec tous les enseignants pour offrir reconnaissance et pistes de développement professionnel à chacun. Il s’agit de valoriser les enseignants qui répondent aux attentes et réorienter ou recadrer ceux qui peuvent avoir tendance à oublier la mission première de leur activité professionnelle. Ce pilotage en continu peut se faire justement avec le souci premier de la qualité des prestations dispensées au sein d’un établissement.

Donner des ailes aux collaborateurs

Comment l’encadrement peut-il jouer son rôle, permettre aux personnes d’affirmer leur talent dans le métier d’enseignant et permettre à l’établissement de s’inscrire dans une dynamique globale d’évolution ?

Pour les chefs d’établissement, ce travail d’encadrement est d’autant plus complexe que les enseignants évoluent dans un environnement en perpétuel mouvement. Dans ce contexte, ces derniers ne sont pas de simples exécutants, mais des professionnels qui doivent décider dans l’urgence et dans l’incertitude comme le disait Philippe Perrenoud[1] et pour lesquels une partie au moins de leur compétence se traduit dans la capacité à combiner des logiques parfois différentes, arbitrer, faire des choix, retenir une bonne combinaison dans un ensemble de ressources, de connaissances et de savoir-faire qu’ils possèdent. Le caractère hautement complexe de la profession est ici central. Pour autant, le milieu enseignant ne semble pas posséder d’outils collectifs de régulation de sa profession. Les enseignants semblent même parfois abandonner la régulation du métier à la hiérarchie, tout en ne lui reconnaissant pas légitimité pour le faire. Pour les cadres scolaires, nous sommes donc devant le défi de faire travailler des professionnels mais sans les dé-professionnaliser, d’aider les enseignants à faire preuve d’autonomie pour trouver des solutions innovantes et adapter de manière continue leurs pratiques.

Une nouvelle posture dans l’encadrement éducatif

La ou le responsable d’établissement scolaire devient un développeur de personnes et un accompagnateur qui peut soutenir les individus et les équipes dans leurs développements. Le développement professionnel des enseignants concerne ainsi à la fois l’enseignant à titre individuel et à la fois le corps enseignants d’un établissement pris dans son entier. Pour évoluer et aboutir à des effets marquants, il est important de mailler les deux dimensions et de les orienter vers le cœur du travail, un but commun : développer des pratiques pédagogiques adaptées au besoin des élèves et offrant des solutions optimales pour leur progression.

Un établissement apprenant

Dans une telle culture organisationnelle, peut-être pourrions-nous imaginer que les établissements scolaires se soucient de l’apprentissage des enseignants et pas seulement des élèves ? Des nouvelles dynamiques sont alors à réfléchir pour tisser et retisser apprentissages organisationnel, apprentissages des enseignants et apprentissages des élèves. Dans ce cadre, l’importance de considérer le leadership à tous les niveaux me semble fondamentale. Dans l’idée que nous pouvons donner des ailes aux collaborateurs et placer des individus en position d’amélioration continue, l’enjeu central est peut-être la recherche d’un leadership très distribué pour réinventer les règles du management et de la gestion du personnel.

Les établissements qui seront les plus performants vis-à-vis du bien-être des collaborateurs et d’une culture coopérative seront probablement ceux qui prendront le temps d’imaginer une culture collaborative de la gestion d’établissement et qui accepteront d’être en apprentissage au niveau des individus, de l’organisation et du management.

Références

[1] Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe. Paris, France : ESF.